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Droit d’auteur sensoriel : l’odeur du succès et le goût de l’échec
août 2019
Le droit d’auteur peut-il arrêter les imitateurs ? Les sens humains sont fondamentaux dans la vie quotidienne ; il en découle naturellement qu’il y a une valeur commerciale significative à gagner en faisant appel à ces sens, afin de créer une association avec une marque ou un certain produit dans l’esprit des consommateurs. Dans le même ordre d’idées, il semble logique que la protection de la propriété intellectuelle devrait également étendre son bras si une perception sensorielle adopte une qualité commerciale.
Le marketing sensoriel joue sur le subconscient pour provoquer une réponse positive, qui peut être utilisée à des fins commerciales. Les acheteurs considèrent l’odeur qui les accueille dans un magasin Abercrombie & Fitch – qui est la même quel que soit le magasin qu’ils visitent – comme faisant autant partie de leur identité de marque que leur logo à l’élan.
Contexte
Dans l’affaire Kecofa c. Lancôme, la Haute Cour néerlandaise a jugé que le droit d’auteur pouvait subsister dans l’odeur d’un parfum, car elle était originale et perceptible par le sens de l’odorat. Le producteur de fromage néerlandais Levola Hengelo BV a tenté de repousser encore plus loin les limites du droit d’auteur sensoriel lorsqu’il a intenté une action contre Smilde Foods au motif de la protection du droit d’auteur sur le goût de leur fromage à tartiner.
Aux Pays-Bas, comme au Royaume-Uni, la protection du droit d’auteur subsiste dès la création d’une œuvre originale. Une ‘œuvre’ est définie comme une « création intellectuelle propre à l’auteur », ce qui laisse une marge considérable d’interprétation. Le tribunal néerlandais a renvoyé la question suivante à la CJUE pour clarifier la portée d’une ‘œuvre’ : « Le droit de l’UE s’oppose-t-il à ce que le goût d’un produit alimentaire – en tant que création intellectuelle propre de l’auteur – bénéficie de la protection du droit d’auteur ? ».
Levola Hengelo, C-310/17
Bien que le développement d’un fromage à tartiner au goût agréable implique la création intellectuelle propre de l’auteur (dans ce cas, un chef), la CJUE a estimé que le goût du fromage ne peut être défini avec suffisamment de précision ou d’objectivité pour bénéficier de la protection du droit d’auteur, déclarant :
« […] pour qu’il y ait une ‘œuvre’ […], l’objet protégé par le droit d’auteur doit être exprimé d’une manière qui le rende identifiable avec une précision et une objectivité suffisantes, même si cette expression n’est pas nécessairement sous une forme permanente ».
« Le goût d’un produit alimentaire ne peut cependant pas être déterminé avec précision et objectivité. Contrairement, par exemple, à une œuvre littéraire, picturale, cinématographique ou musicale, qui est une forme d’expression précise et objective, le goût d’un produit alimentaire sera identifié essentiellement sur la base de sensations et d’expériences gustatives, qui sont subjectives et variables puisqu’elles dépendent, entre autres, de facteurs propres à la personne qui goûte le produit concerné, tels que l’âge, les préférences alimentaires et les habitudes de consommation, ainsi que de l’environnement ou du contexte dans lequel le produit est consommé ».
Ce jugement remet en question les décisions antérieures confirmant la protection du droit d’auteur sur l’odeur d’un parfum, car celles-ci doivent également être subjectives et dépendre de l’environnement dans lequel elles sont expérimentées. Nous attendons d’autres décisions des tribunaux nationaux pour voir comment ils interpréteront désormais le jugement de la CJUE dans cette affaire en relation avec les œuvres impliquant l’odorat.
Pour les détaillants souhaitant maintenir l’exclusivité de leurs produits, la possibilité de s’appuyer sur la protection du droit d’auteur dans la lutte contre les produits ‘ressemblants/sentant/goûtant comme’ serait un ajout bienvenu à leur arsenal de droits de propriété intellectuelle. Dans de tels cas, l’acte de copie est souvent évident, le but entier du produit ‘contrefaisant’ étant d’imiter l’original, mais d’autres formes de protection de la propriété intellectuelle telles que les marques déposées et les droits sur les dessins et modèles peuvent ne pas suffire à mettre fin à l’utilisation incriminée. Nous avons vu qu’il s’est avéré impossible pour les propriétaires d’obtenir une protection pour une marque olfactive en tant que marque de l’UE, malgré des tentatives vaillantes, rendant la possibilité de protection par le droit d’auteur des œuvres sensorielles encore plus attrayante.
Bien que la CJUE ait conclu dans cette affaire que le goût d’un produit alimentaire ne peut pas être suffisamment ‘déterminé’ pour constituer une œuvre soumise à la protection du droit d’auteur, d’autres œuvres sensorielles peuvent encore être définies avec suffisamment de précision pour bénéficier du droit d’auteur. Le défi est maintenant pour les propriétaires et leurs avocats de définir l”œuvre’ pour tirer le meilleur parti de ce droit.
Considérez les points suivants :
- Ai-je une œuvre sensorielle qui procure un avantage concurrentiel et est susceptible d’être copiée ?
- Puis-je identifier la nature précise de l’œuvre sensorielle et sera-t-elle perçue de la même manière par tous ?
- Ai-je des preuves de la création de l’œuvre ?
Si vous êtes en mesure de répondre oui aux questions ci-dessus, vous pourriez alors être en mesure de vous appuyer sur les avantages supplémentaires de la protection du droit d’auteur dans la lutte contre les imitateurs.



